15 ans de prison pour l’ex président Aziz : La grâce présidentielle seule issue pour sortir de l’ornière

MADAR/Nouakchott le 14-05-2025

Enfin l’épilogue du procès de l’ex président mauritanien.15 ans de prison pour Mohamed Ould Abdell Aziz.

Le verdict de la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Nouakchott est tombé comme un couperet aujourd’hui en début d’après-midi.

La Cour a reconnu Ould Abdel Aziz coupable des délits d’abus d’influence, d’abus de fonction et de dissimulation de produits du crime en vertu des articles 13, 14 et 17 de la loi 014/2016 relative à la lutte contre la corruption.

Comment expliquer cette lourde condamnation. Ne serait-elle pas une manœuvre déguisée destinée à redorer le blason de la justice et un pas en direction d’une éventuelle grâce présidentielle ?

Une chose est sûre l’ombre de l’ex président continuera à peser sur la scène politique et à plomber toutes les tentatives de normalisation du jeu politique.

De ce fait, la seule issue qui s’offre au pouvoir après ce verdict c’est une grâce présidentielle qui lui permettra d’ôter cette épine du pied.

Ce procès aux relents politiques a tenu en haleine l’opinion publique mauritanienne pendant cinq ans.

C’est à croire que le pouvoir en place a volontairement prolongé le suspens afin d’amuser la galerie. En effet les mauritaniens durement éprouvés par des conditions de vie pas toujours reluisantes ont été distrait par ce marathon judiciaire plein de rebondissements.

Ainsi à la fin du mois de juillet 2020, les « héros » de la décennie noire avec à leur tête l’ex président Aziz étaient au banc des accusés  après la publication du rapport compromettant de la Commission d’enquête parlementaire. Ce rapport -qui a passé au crible les grands dossiers les plus en vue de la gabegie et des malversations à grande échelle de l’ancien régime-était jugé crédible car, ayant bénéficié de toutes les expertises nécessaires, en allant de la Cour des Comptes aux grands cabinets juridiques et financiers de réputation mondiale, entre autres le groupement Taylor Wessing (aspects juridiques), /Matine (gestion technique et opérationnelle) /Gibraltar Advisor (aspects financiers)…

Les enquêtes qui se sont basées sur les auditions des principaux acteurs et sur l’analyse de centaines de documents administratifs, juridiques et comptables ont mis en évidence l’ampleur du pillage qui a mis l’économie mauritanienne à genoux.

Au niveau du parlement où le rapport a été présenté et discuté ce fut l’union sacrée entre les différents groupes parlementaires (majorité et opposition).

Le rapport de la CEP a ainsi été remis au ministre de la justice qui n’avait pas tardé à déclencher la procédure normale en donnant le feu vert pour l’ouverture du plus grand procès du siècle en Mauritanie.

Et vu l’ampleur des dégâts et du nombre de personnes impliquées dont des membres du gouvernement et des cadres de la haute administration, on était en droit de s’attendre à un grand nettoyage au sommet de l’Etat et au niveau de toute l’administration et des sociétés d’Etat. Et ce fut d’ailleurs là l’une des principales recommandations du parlement.

Toutes les institutions judiciaires et d’audit, de lutte contre la délinquance financière et économique ont été mises en état d’alerte maximale.

Face à ce branle-bas de combat, pour une fois, le peuple mauritanien espérait voir ses bourreaux répondre de leurs actes.

Ce serait là un très grand réconfort moral après tant de décennies de privations de ses immenses ressources dilapidés au grand jour et alimentant les paradis fiscaux.

Et les mauritaniens espéraient enfin pouvoir assister à un procès exemplaire qui mettra fin aux détournements des deniers publics à grande échelle, à l’impunité et à la banqueroute de l’économie nationale.

Mais ils vont très vite déchanter car le procès a dès le départ pris une autre tournure.

Depuis on a assisté à plusieurs rebondissements.

Ainsi dès le départ, à la mi-août 2020, après une semaine passée dans les locaux de la Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN), Ould Abdel Aziz a été autorisé à regagner son domicile à Nouakchott mais ses documents d’état civil ont été confisqués et ordre lui a été signifié de rester à la disposition de la justice et de ne pas quitter le territoire national ; une note dans ce sens a été adressée à l’ensemble des postes frontières terrestres, maritimes et aériens qui ont reçu ordre de la DGSN d’empêcher Aziz de voyager.

Cette libération intervenue dimanche 23 août, à une heure tardive entre également dans le strict respect de la loi sur la garde à vue qui est initialement de 48 heures, renouvelables deux fois.

Aziz était désormais placé sous contrôle direct par la justice. Il pourrait ainsi être convoqué à tout moment pour les besoins de l’enquête.

Après sa libération, son beau-fils l’a remplacé passant du coup sa première nuit de détention à la police anti-corruption.

Le sieur Ould Msamboue, époux de la fille de l’ancien président Esma Mint Abdel Aziz était l’hôte de la police des crimes économiques quelques heures après la mise en liberté de son beau-père.

L’homme d’affaires Ould Msamboue était lui aussi dans la ligne de mire du rapport de la commission d’enquête parlementaire. Il est pointé du doigt pour son éventuelle implication dans des affaires concernant des marchés octroyés dans des conditions peu orthodoxes.

Au même moment, les anciens barons de l’ex régime et compagnons d’infortune de l’ex président avaient poursuivi leur valse devant les enquêteurs. C’est ainsi que l’ex ministre des finances et actuel Premier ministre, Ould Diaye avait été entendu une nouvelle fois, idem pour l’ex premier ministre Yahya Ould Hademine auditionné de nouveau.

Et pendant ce temps, Aziz qui ne s’avoue pas vaincu continuait à s’activer et à crier au règlement de compte et à la machination politique. Ses avocats ont exigé dans la foulée, lors d’une conférence de presse, l’arrêt des poursuites engagées contre lui qui « ne se base sur aucun fondement juridique ».

Le président du collectif des avocats, Me Mohameden Ould Ichidou s’est félicité à cette occasion du refus de son client à répondre aux questions des enquêteurs, invoquant « son immunité constitutionnelle ».

Ould Ichidou a dénoncé ce qu’il a qualifié de « simulacre de procès dans la rue à l’encontre des meilleurs fils de ce pays, notamment le président Mohamed O. Abdel Aziz, des procès qui ignorent la loi».

Au début du mois de mars 2021, l’ex président Mohamed Ould Abdel Aziz et un groupe de ses anciens proches collaborateurs dont deux ex premiers ministres ont été présentés au parquet.

Le feu vert fut ainsi donné pour le début de ce procès tant attendu.

C’est le premier procès pour corruption de cette envergure depuis l’indépendance du pays.

Il s’agit là d’un test grandeur nature pour la justice et pour le pouvoir du président Ghazwani qui jouait là sa crédibilité.

L’ex président était dans une posture délicate car ayant opté dès le départ pour le mutisme et le refus de coopérer avec les enquêteurs. Ses avocats mettent en avant son immunité et l’incompétence des tribunaux ordinaires de le juger.

Toujours est-il que le rapport de la Commission d’Enquête Parlementaire semblait bien ficelé et soulignait des manquements graves dans la gestion des 12 dossiers objet des investigations.

Entre autres les irrégularités flagrantes concernant le dossier de la SOMELEC avec notamment le fameux marché pour la construction « clef en main » d’un réseau d’éclairage public pour certains axes de la ville de Nouakchott.

Il ya le dossier foncier, le rapport de la commission ayant mis en exergue les conditions particulièrement opaques de cession dans le cadre d’échanges « travaux /foncier ».

Les accords commerciaux conclus avec la société chinoise Poly Hondone comportent eux aussi des irrégularités qui sont en porte à faux avec la gestion du domaine public maritime mauritanien.

Autre exemple frappant celui de ces « trois bateaux ayant bénéficié de sauf-conduits délivrés par le Ministère des Pêches reconduits chaque fois au cours de la période pour pêcher et transborder frauduleusement en haute mer leur cargaison sur le bateau collecteur Ocean Fresh. »

Et les profits engrangés sont énormes et ils ont été  réalisés au détriment de la collectivité nationale : droits de douanes compromis, impôts et taxes, redevances de la SMCP, taxes de la Zone Franche, droits du Port, le tout impayées dix années durant. « La société IPR a bénéficié en contrepartie de cette fraude d’au moins un montant de 23.918.730 dollars américains transféré en Mauritanie ou à l’étranger dans des comptes en Chine, Hong Kong, Allemagne, Irlande et Singapour (voir données en annexes). Les tonnages transbordés frauduleusement sont estimés à 280.000 tonnes. »

Dans le dossier « infrastructures », la commission a relevé 109 contrats pour un montant total de 430 milliards MRO. Et plus de 89% des marchés ont été passés par entente directe.

Dans tous les autres dossiers l’ampleur des manquements et des biens évaporés donne le tournis.

Le 09 avril 2021 Aziz avait adressé un vibrant appel au peuple mauritanien et à toutes les forces vives soucieuses dit-il de la préservation des acquis et de la marche vers la construction de la « Mauritanie nouvelle ».

Aziz a mis dos à dos la majorité et l’opposition et dressé un bilan très sombre du pouvoir en place. Dans son pamphlet au vitriol l’ex président avait dénoncé la gestion chaotique de la crise sanitaire, les détournements de fonds, la situation des enseignants, la hausse vertigineuse des prix, le pillage des ressources nationales, le doublement du budget de la Présidence, l’opposition complotiste, un parlement monocolore avec des députés aux ordres qui ne pensent qu’à leurs intérêts, l’état peu reluisant de l’administration, la marginalisation économique des petites gens, la restriction des libertés, la pression sur les journalistes et les leaders d’opinion…

Bref Aziz a accusé le régime actuel des mêmes maux dont on l’accusait après plus de dix ans au pouvoir, des maux qui lui ont valu ce procès jugé historique.

En janvier 2023, après près de trois ans de longues et laborieuses enquêtes, l’instruction du rocambolesque « dossier de la décennie » avait enfin connu son épilogue.

Ainsi, l’ex président Aziz qui fait face à de graves accusations de corruption, blanchiment d’argent et enrichissement illicite entre autres, était en fin janvier face à la justice des hommes en attendant celle d’Allah.
Et dans la rue l’on se demandait s’il saura se tirer d’affaire face à ses juges et surtout comment arrivera-t-il à justifier sa prétendue immense fortune et notamment les 100 millions de dollars gelés par l’appareil judiciaire au cours de l’enquête ?

Le 24 octobre 2023, le réquisitoire du Parquet présenté devant la Cour où était jugé l’ex président Aziz et un pré-carré de proches collaborateurs avait requis de lourdes peines et la saisie de tous les biens prétendument détournés.
20 ans de prison et une amende de 100 millions MRO ont été requis contre l’ex homme fort du pays. De lourdes peines allant de 10 à 5 ans et de fortes amendes ont été également requises contre ses co-accusés.

Le verdict qui était tombé en décembre 2023 a été finalement marqué par la condamnation de l’ex président  à 5 ans de prison et la confiscation de ses biens.
Après ce jugement en première instance, le procès en appel qui s’en est suivi à la cour d’appel de Nouakchott, s’est terminé le 23 avril dernier. Et la boucle est bouclée avec le verdict qui est tombé aujourd’hui et en vertu duquel l’ex président écope de 15 ans de prison.

Ce procès que d’aucuns présentent comme un procès politique n’a pas suscité l’enthousiasme des mauritaniens dont l’intérêt était vite retombé, surtout après le blanchiment des centaines d’accusés indexés par le fameux rapport de la Commission d’enquête parlementaire.

Ledit rapport a été considéré dès le départ par le principal accusé comme une machination visant à l’écarter de la scène politique.
Cette accusation a toujours été rejetée par le pool des avocats de l’Etat. Mais coup de théâtre après le témoignage devant le tribunal de Haimoud Ramdane ex ministre de la justice qui était chargé du dossier dès le début. Ce dernier avait fait des déclarations rocambolesques qui ont mis à mal la sérénité des juges.
C’est ainsi qu’il a déclaré que dès la réception du dossier lui et son staff avaient planché trois jours durant pour son étude et ils étaient arrivés à la conclusion suivante : le rapport était rédigé de façon accusatrice par une seule partie et selon un seul point de vue et sans aucune description claire des accusations.
Le staff du ministère était également étonné du fait que le dossier atterrisse chez eux alors que le Parlement était habilité à traiter certains crimes. Cela était vu comme une ingérence du législatif dans le pouvoir judiciaire et donc une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
Autre déclaration de l’ex garde des Sceaux : l’immunité du Président est absolue. C’était donc dire que Aziz avait raison sur ce point qui a suscité un débat qui a fait couler beaucoup d’ancre.
Et cela est d’autant plus important que l’ex président avait bâti toute sa ligne de défense sur ce point là. Ces révélations de l’ex ministre de la justice avaient porté un coup d’ombre sur ce procès.
Les déclarations de l’ex ministre mettent en évidence la domestication de l’appareil judiciaire qui depuis toujours a du mal à se départir de la tutelle de l’Exécutif, une situation dont l’ex président avait largement profité et qui se retourne aujourd’hui contre lui.
Quoiqu’il en soi ce dossier continuera à plomber la scène politique nationale.

Il convient de rappeler que le dossier Aziz impliquait plus de 300 personnalités de l’ex régime qui ont toutes tourné leur veste en ralliant le pouvoir actuel, avec armes et bagages et se sont retrouvées disculpées du jour au lendemain, comme par enchantement alors qu’elles étaient toutes comptables de la gestion jugée chaotique du pays par l’ex président.
Même si ce dossier politico-judiciaire a été biaisé dès le départ, le jugement du principal suspect revêt un fort cachet symbolique.
Au-delà des préjudices subis par le pays du fait d’une gestion chaotique des deniers publics, ce procès a coûté très cher au contribuable. Certains observateurs ont avancé la bagatelle de 300 millions d’ouguiyas rien que pour les frais des avocats de l’État.

De ce fait, il était impératif que le droit soit dit et que tout cela ne finisse pas par une mascarade.

Bakari Gueye

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