MADAR/Nouakchott/Le 14-01-2024
Ce thème fut l’objet de la première table-ronde des assises de l’Union Internationale de la Presse Francophone dont les rideaux viennent de tomber à Dakar.
Les médias ont toujours joué un rôle important durant les périodes de conflits ou de crises dans le monde, car le contrôle de l’information pendant ces périodes devient un enjeu crucial.
Quels pouvoirs les médias exercent-ils en temps de conflits ou de crises ? Disposent-ils d’une certaine autonomie dans l’exercice de leur mission ?
La responsabilité du journaliste pleinement engagée
Pour répondre à cette problématique du reste très délicate le panel de haut niveau était composé de Mademba N’Diaye ; journaliste/analyste sénégalais, Wilson Fache, reporter de guerre Belge qui couvre la guerre en Ukraine, lauréat du prix Albert Londres 2023 ; Rurangwa Jean Marie Vlanney Rédacteur en chef à la télévision Rwandaise ; Bruno Fanucchi Président de la section UPF France et Anne Laure Bonnel, journaliste française indépendante et Correspondante de guerre.
Les intervenants sont tous d’accord sur le fait que la responsabilité du journaliste est pleinement engagée en temps de guerre. Il doit toujours respecter la déontologie, s’en tenir aux faits et rester dans les limites imposées par les garde-fous de la profession.
Sa responsabilité c’est de transmettre l’information le plus éthiquement possible en tendant toujours vers l’honnêteté, en contextualisant l’information et en la vérifiant avant de la diffuser.
Il doit aussi veiller sur la protection de ses sources, de ses collaborateurs locaux et notamment les précieux fixeurs qui sont les plus exposés aux représailles.
Les questions liées à la censure, à la propagande ont été soulevées à travers des exemples concrets ayant trait d’abord à la situation peu confortable des journalistes « embarqués ».
En effet le débat reste entier sur la pratique dite du « journalisme embarqué » qui consiste, pour des reporters de guerre, à se faire transporter par des moyens militaires d’une partie belligérante pour couvrir le champ de bataille.
Se posent alors les questions de liberté et d’impartialité inhérentes à l’exercice du métier.
A ce sujet le proverbe wolof repris par Mademba N’Diaye est fort éloquent: « Qui te prête les yeux t’indique la direction de ton regard. »
Il y a aussi que les conditions de sécurité et de sûreté dans lesquelles se déploient les médias qui sont à bien des égards, des conditions qui peuvent être risquées, notamment dans des cas de troubles internes ou de conflits armés.
Pour Witson Fache qui couvre la guerre en Ukraine les conditions de couverture de la guerre dans cette région sont complexes et notamment au niveau des lignes de front. Le journaliste belge relève la propagande accrue des médias russes et notamment Russia Today qui a été interdite en Europe. Mais il s’étonne que parallèlement une chaîne américaine comme Fox News continue à diffuser dans des pays comme la France où elle s’adonne à une opération de désinformation à grande échelle.
La désinformation institutionnalisée
Autre anomalie relevée par Sadibou Marou, Représentant de Reporter Sans Frontières à Dakar qui note que les chaînes russes comme Sputnik et Russia Today s’imposent de plus en plus en Afrique et contribuent à entretenir la désinformation.
Autre anomalie relevée sous les tropiques c’est ce concept de « traitement patriotique de l’information » au Mali, au Burkina Fasso et ailleurs, un traitement complètement favorable aux juntes militaires.
Dans ces pays le signal est coupé pour France 24 et RFI mais aussi pour des medias locaux comme la radio Oméga au Burkina Fasso.
Et dans ces pays dirigés par les militaires on note de plus en plus d’attaques de radios communautaires par les groupes armés extrémistes qui leur demandent de diffuser exclusivement des prêches et de bannir la musique.
Des législations anti-terroristes liberticides
Parlant de la problématique des législations anti-terroristes Fatou Diagne Senghor, juriste gambienne et défenseure des Droits Humains a affirmé que dans tous les pays de la sous-région Ouest-Africaine, ces législations empiètent sur les libertés publiques et notamment sur la liberté des journalistes.
Ces législations sont dit-elles imposées par les Etats, sans aucune concertation avec la complicité des pays dits démocratiques du Nord qui ferment les yeux sous pretexte qu’il s’agit du terrorisme qu’il faut combattre par tous les moyens.
Ainsi, des pays comme le Sénégal, la Mauritanie, le Ghana, le Bénin ont régressés en matière de libertés à cause de ces lois jugées liberticides. En effet selon Mme Senghor ces législations contiennent des dispositions foure-tout, peu claires utilisées au besoin. Cela entraîne une fragilisation de la pratique du journalisme. Les Etats privilégient l’approche du tout sécuritaire, ce qui fait le bonheur des groupes terroristes.
La notion de terrorisme qui revêt des acceptions diverses a aussi été abordée par les panélistes. Il s’agit d’une notion flou et diversement apprécié. L’exemple du Hezbollah libanais placée sur la liste noire en Occident et pourtant il s’agit d’une entité avec une représentation politique et reconnue par plusieurs pays dont de grandes puissances comme la Chine et la Russie.
Il y a aussi que même la Convention de l’Union Africaine sur le terrorisme ne répond pas aux standards internationaux.
Au cours de ce panel des témoignages vivants de journalistes persécutés dans leurs pays ont été présentés. C’est le cas notamment du journaliste Issaka Lingani – qui avait été réquisitionné, début novembre, pour trois mois au « front » et qui a quitté son pays le Burkina Fasso pour se réfugier à l’étranger.
Selon Lingani, aujourd’hui, au Burkina Fasso, les opposants à la junte sont envoyés au front, selon une loi utilisé par la junte torturés et exilés.
Et tous les journalistes qui refusent le diktat du régime deviennent des apatrides.
Bakari Gueye