La perte inéluctable

Les manifestations de solidarité avec les habitants de Gaza en proie à un indéniable génocide, ont été, en partie, étouffées sous le rouleau compresseur du déni de justice, de la répression intellectuelle, médiatique et sécuritaire, de l’instrumentalisation de la peur, de l’accoutumance à l’horreur. L’humanisme et l’empathie paraissent, aujourd’hui, bien orphelins, au moment où le droit à la vie à Gaza est gravement compromis, sans témoin…
À quelques rares exceptions près, tout le monde semble à présent résigné à l’idée qu’il est possible, au vingt-unième siècle, de soumettre, sans conséquence d’aucune nature, un camp de réfugiés aux affres des bombardements ininterrompus, aériens, maritimes et terrestres, de le priver d’eau, de nourriture et de médicaments, au risque de l’exterminer au moyen d’un blocus méphistophélique.
Sur les campus universitaires américains, des centaines de milliers d’étudiants ont bien exprimé leur révulsion à l’idée de massacrer impunément des populations civiles, pour la seule raison qu’elles aspirent à la liberté et à la dignité vitale ; ils ont dénoncé, preuves à l’appui et au risque de leur avenir, le soutien résolu, multiforme et inconditionnel de leur gouvernement à la machine d’extermination à l’œuvre à Gaza. De redoutables pressions policières, médiatiques, financières et pédagogiques, .etc, ont fini par émousser ce réveil de conscience salvateur. Mais cette mobilisation estudiantine exceptionnelle n’aura pas été vaine, car, elle n’est certainement pas étrangère à l’abstention tardive et inespérée des États-Unis au Conseil de sécurité de l’ONU, et à la jetée temporaire qui a permis l’acheminement d’une aide limitée d’urgence, en faveur de la petite enclave surpeuplée, assiégée, dénutrie.
Dans les grandes avenues des métropoles européennes, telles Madrid, Londres, Paris, Stockholm…, des foules compactes ont battu le pavé en scandant, haut et fort, parfois au péril de leur intégrité judiciaire, des slogans hostiles aux boucheries perpétrées à Gaza sur une base quotidienne. Les gouvernements de trois grands pays européens (Espagne, Norvège, Irlande) ont courageusement pris les devants, en reconnaissant l’État de Palestine ; d’autres se cachent encore derrière leur petit doigt, même s’ils …reconnaissent, en creux, qu’une telle décision politique est non seulement nécessaire à l’instauration d’une paix juste et durable au Proche-Orient, mais elle l’est aussi au regard de la préservation de l’image de marque diplomatique, culturelle et commerciale, propre à chaque pays. Des personnalités européennes éminentes, tel l’ancien Premier ministre français, Mr P. De Villepin ont brillamment et patiemment expliqué, en vain, comme en 2003, lors de la guerre inique contre l’Iraq, les risques inhérents à la logique de la seule puissance de feu sur le papier, dans le règlement des conflits complexes ; ces conflits où la responsabilité historique et morale des anciennes puissances coloniales est difficilement escamotable. Les sanctions européennes à l’encontre de certains colons à la gâchette facile en Cisjordanie, sont louables, et ce, même si ces sanctions ne semblent viser qu’une infime partie des auteurs de crime concernés.
Il est difficile, voire impossible de contester la pertinence d’accorder automatiquement le statut de réfugiée aux femmes et aux filles afghanes interdites de travail et d’éducation publique dans leur propre pays, mais le sort des femmes et filles palestiniennes est autrement plus tragique, car, elles sont en danger de mort sous les bombes ou par inanition ; la proximité géographique, historique et culturelle plaide indéniablement en faveur des Palestiniennes, sachant qu’un raisonnable pont aérien ou maritime d’aides d’urgence leur suffirait… C’est là une nouvelle illustration de la myopie morale et de la règle des “deux poids deux mesures”, souvent évoquée au sujet du traitement sélectif officiel des deux guerres en Ukraine et à Gaza.
Si la fortune électorale a récemment changé de camp, dans certains pays occidentaux, c’est, en partie, en raison de la “surdité” politique de leurs gouvernements aux vibrants slogans populaires en faveur d’un cessez-le-feu immédiat à Gaza.
Dans le monde arabe, de grandes manifestations populaires sont sorties spontanément dans les principales capitales, en soutien aux Palestiniens à nouveau éprouvés ; une importante aide humanitaire a été rapidement mobilisée, mais les difficultés d’acheminement ont contribué à freiner un tel élan de solidarité, sans l’interrompre.
Dans toutes les langues de la planète, les exactions contre les civils à Gaza et en Cisjordanie ont été dénoncées à grand renfort de refrains repris en chœur et d’immenses banderoles aux couleurs de la Palestine.
L’expression la plus aboutie du rejet de la barbarie, sous ses traits les plus hideux, fut, sans nul doute, la courageuse initiative, prise par le gouvernement du pays de feu Nelson Mandela, d’intenter un procès pour génocide, auprès de la Cour Pénale Internationale, contre des dirigeants israéliens actuels. Cette initiative était d’autant plus méritoire, qu’elle paraissait vouée à l’échec, en raison du soutien occidental aveugle à l’actuel gouvernement d’extrême-droite en Israël. La pugnacité légendaire de l’ex-ministre sud-africaine des Affaires étrangères, Madame Naledi Pandor, a certainement fait la différence, car la CPI a requis, fin avril dernier, un mandat d’arrêt international contre l’actuel premier ministre israélien. Une première.
Bien en amont, l’Assemblée générale de l’ONU avait adopté, à une large majorité (153 voix pour, 10 contre et 23 abstentions), une résolution en faveur d’un cessez-le-feu dans l’enclave palestinienne martyre.
Le Conseil de sécurité a, lui aussi, sur le tard et après bien des tentatives avortées, fini par adopter une résolution (14 voix pour, une abstention), le 25 mars dernier, appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza.
En mars dernier, le patron de l’UNRWA, Mr Philippe Lazzarini s’est exprimé via son compte X :« Stupéfiant. Le nombre d’enfants tués en un peu plus de 4 mois à Gaza est supérieur au nombre combiné d’enfants tués en 4 ans de guerres dans le monde.
Cette guerre est une guerre contre les enfants. C’est une guerre contre leur enfance et leur avenir. »
Le 8 juillet courant, sur le site du prestigieux journal médical britannique, The Lancet, une estimation des victimes palestiniennes directes et indirectes a donné « plus de 186 000 morts », en dix mois de guerre, soit « 7 à 9 % de la population totale de la bande de Gaza ». Un nombre de victimes très au-delà des 37396 morts recensés par le Hamas, jusqu’au 19 juin dernier.
En dépit des manifestations imposantes dans toutes les grandes métropoles du monde, d’un large consensus politique à l’ONU, de la pression judiciaire internationale, de certaines pressions politiques et économiques en interne, des statistiques macabres affligeantes au sujet du nombre élevé de victimes palestiniennes innocentes, notamment parmi la petite enfance, le gouvernement israélien actuel persiste dans sa politique de tragique punition collective à l’encontre des habitants de Gaza, en soumettant régulièrement des centaines de milliers de civils palestiniens épuisés, affamés, à des exodes forcés, sous prétexte de les protéger, avant de les bombarder, chemin faisant ou une fois arrivés à destination, de manière indiscriminée. Un dédain assumé des valeurs humaines universelles et un mépris patent du droit international ; une posture difficilement tenable, car, selon les Grecs anciens : “Les dieux rendent arrogant celui dont ils veulent la perte”.
Isselkou Ahmed Izid Bih
Ex-recteur d’université

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