MADAR/Nouakchott le 13-10-2024
Mahfoudh Ould Saleck est journaliste et chercheur spécialisé dans les affaires africaines
Les Camerounais ne savent pas grand-chose du statut de leur vieux président Paul Biya, qui a plus de 90 ans et ne se lasse pas du pouvoir. Depuis le début du mois de septembre, ils ne l’ont pas vu, après que la télévision d’État a retransmis une partie de sa participation au Forum sur la coopération sino-africaine à Pékin.
La longue absence de Biya, sans annonce officielle de son lieu de résidence ou de la raison de sa disparition, a suscité de nombreux doutes parmi les Camerounais, bien qu’ils soient conscients de la vieillesse et de la détérioration de l’état de santé de leur président.
Cette incertitude s’est accrue après que la chaîne camerounaise privée et d’opposition « ABC », basée à Houston, aux Etats-Unis, a annoncé il y a quelques jours que Paul Biya était décédé, sur la base d’informations en provenance de France, du Cameroun et de Suisse.
Après un long silence sur l’absence du président, le gouvernement a répondu que Paul Biya se trouvait en Europe pour un court séjour privé et qu’il rentrerait au pays dans les prochains jours. Cette réponse n’a pas convaincu les Camerounais, mais a suscité davantage de controverse, poussant le ministère de l’intérieur à annoncer l’interdiction de toute discussion publique dans les médias ou sur les réseaux sociaux au sujet de la santé du président.
Ceux qui ne s’inquiètent pas de la tabouisation de la santé du président par les autorités – pour la plupart des opposants à son régime – affirment que des consultations ont lieu en secret à l’intérieur et à l’extérieur du pays pour organiser discrètement une transition post-Paul Biya.
Le parti au pouvoir se préparait à annoncer sa candidature aux élections présidentielles de 2025, ce qui est courant dans la plupart des pays du continent, puisque le président reste candidat jusqu’à sa mort, et que de nombreux présidents n’ont quitté leur fauteuil que sur un cercueil.
Même son fils de 53 ans, Frank Biya, malgré des années d’efforts pour le préparer à succéder à son père, n’a pas le soutien total des chefs de parti et des militants.
Cela signifie qu’une crise politique attend le pays lorsque la mort de Biya sera officiellement confirmée, ou si la vérité sur son état de santé est prolongée et qu’il continue à rester invisible.
L’incertitude quant à la confirmation de la santé, de la vie ou de la mort de Biya a également commencé à avoir des répercussions sur la situation économique du pays, certains médias internationaux rapportant que les investisseurs au Cameroun, dont le nord et le sud-ouest sont en proie à une crise séparatiste inextricable, sont prudemment craintifs.
Sur les marchés internationaux, l’impact sur les obligations camerounaises a été fortement ressenti : selon Bloomberg, les obligations en dollars du pays ont connu des baisses pendant trois jours consécutifs, et si la situation se poursuit, elle pourrait entraîner des coûts de refinancement plus élevés pour le Cameroun.
Sur le plan social, les séparatistes qui ont déclaré unilatéralement un nouvel État appelé « Ambazonia » en 2017 pourraient exploiter la situation pour réaliser des gains sous la bannière de « l’après-Biya » et ouvrir un nouvel arc vers l’établissement de l’État dit anglophone.
Sur le plan sécuritaire, Boko Haram, qu’il s’agisse de sa version originelle ou de sa branche ayant prêté allégeance à l’État islamique (EI), pourrait profiter de l’état de confusion actuel pour mener des attaques armées, ce qui détériorerait et aggraverait encore la situation.
La dissimulation de la vérité sur l’état de Paul Biya conduit le Cameroun à une situation plus difficile que celle dans laquelle le pays se trouverait s’il était déclaré mort – dans le pire des cas – alors son régime continuera-t-il à insister sur ce point, ou fera-t-il marche arrière avant qu’il ne soit trop tard ?