MADAR/Nouakchott le 11-07-2025
En Mauritanie, la problématique de l’émigration irrégulière est récente même si le statut de pays d’accueil ne date pas d’aujourd’hui. En effet jusqu’aux premières décennies de l’indépendance, beaucoup de postes au sein de la fonction publique étaient encore occupés par des expatriés de nationalités différentes et une loi permettant aux maliens de postuler aux recrutements de la Fonction publique serait toujours en vigueur ou du moins n’a pas été abrogé.
Pour discuter de cette question, le Think Tank « Mauritanie Perspectives » (MP) a organisé le 09 juillet à Nouakchott, un atelier autour de « la problématique de l’immigration en Mauritanie : Défis, exigence de réformes et perspectives ».
Un cadre légal à dépoussiérer
Le premier panel animé par le Dr Haimoud Ramdane a jeté la lumière sur le cadre légal de la gestion de la migration en Mauritanie avec à la clé une présentation du cadre juridique actuel, une analyse des points forts et l’identification des défis et des lacunes.
Selon le Dr Haimoud, le cadre juridique de l’immigration en Mauritanie qui a été longtemps délaissé, est passé par plusieurs étapes.
La question de l’immigration irrégulière a été propulsée au devant de la scène en 2005 avec l’affaire des dizaines de Bangladeshis et de Pakistanais découverts à Fdérik (Tiris Zemour), abandonnés par des passeurs algériens qui les avaient débarqué nuitamment, leur indiquant les lumières de la ville minière et leur faisant croire qu’ils étaient en Espagne.
C’est avec cette première alerte qu’on assiste à l’entrée en ligne de l’OIM qui va s’occuper de leur rapatriement par Air France. S’est alors posé la question : que prévoit la législation mauritanienne ?
Un seul décret datant de 1960 existait et traitait du droit des étrangers. Et c’est ce décret modifié en 1965 qui continue à régir la question de l’immigration en Mauritanie.
Selon le panéliste, ce décret est un frein à l’évolution. En vertu de ce décret l’immigré doit payer une caution financière pour entrer sur le territoire national. Le décret ne prévoit pas le regroupement familial.
Le Dr Haimoud a souligné les lacunes de ce fameux décret. Il a affirmé que la notion de « clandestin » n’existe pas dans la loi. Il y a plutôt l’usage des mots « régulier » ou « irrégulier ».
Et de souligner cependant que la Mauritanie est en avance en matière de ratification des textes et autres outils internationaux. C’est ainsi qu’elle a adhéré en 2010 à la convention des travailleurs migrants et elle en est aujourd’hui à son 3ème rapport.
A noter que les Européens ont refusé de ratifier cette convention à l’exception de la Belgique qui a aussi prévu « la Compétence universelle » qui permet de juger n’importe quel citoyen du monde dans ce pays.
Et pour revenir au décret régissant l’immigration en Mauritanie, les amendes sont libellées en Francs CFA.
Une loi datant aussi de 1960 et portant répression des infractions au droit à l’immigration, existe mais n’a jamais été appliquée.
En vertu de cette loi, les mauritaniens qui logent des étrangers ou leur louent des locaux sont considérés comme complices et encourent des sanctions.
Par ailleurs, les étrangers dont les pays n’ont pas signé de conventions d’établissement avec la Mauritanie, ne peuvent pas acheter des maisons et être propriétaires.
Mais la loi mauritanienne dit qu’elle apporte protection à tous les étrangers réguliers (Art 21 et 22).
Tous les droits leur sont accordés excepté le droit de vote (Art 10).
La « non discrimination » est aussi garantie par la loi.
Les étrangers ont aussi accès à l’assistance sociale (pour les indigents) et ils ont aussi accès à l’assurance-maladie (CNASS).
Au sujet du traitement des dossiers de régularisation, le panéliste a estimé que le système a besoin d’être réorganisé afin d’être plus efficace.
Avec la pression sur les services de la direction de la sûreté nationale, il préconise une décentralisation au niveau des directions régionales. Il faut aussi former le personnel.
Il faudrait aussi pour lancer des campagnes comme celle en cours contre l’immigration irrégulière, mener une campagne médiatique au préalable comme c’est le cas dans des pays comme l’Arabie Saoudite et le Koweït où il a été découvert que plus de 30.000 personnes jouissaient de la nationalité sans passer par les voies normales et parmi ces personnes des célébrités et de grandes personnalités, y compris des ministres. Les documents détenus par toutes ces personnes n’avaient pas de base légale.
S’agissant de la campagne anti-migratoire conduite récemment en Mauritanie, le panéliste estime qu’elle n’a pas été menée sur des bases solides et même la légalité des centres de rétention reste à prouver car juridiquement ces centres ne seraient pas fondés sur des lois claires.
De ce fait, le panéliste recommande de revenir à une approche plus douce, d’organiser des campagnes de sensibilisation tous les 6 mois à l’intention des émigrés et de doter les centres d’accueil de moyens techniques et humains suffisants et de les décentraliser.
Parlant du volet concernant les réfugiés, le panéliste a rappelé qu’ils bénéficient certes d’une protection spéciale mais, recommande-t-il il conviendrait de définir la limite dans laquelle ils se meuvent à travers le territoire et l’espace.
Un décret est nécessaire pour fixer des obligations. Et de rappeler que le statut de réfugié est lié à la Convention de Genève et la Convention de l’Union Africaine, des conventions signées et ratifiées par la Mauritanie.
Si la Mauritanie n’a pas ratifié la convention sur l’apatridie, elle a ratifié le Pacte International des Migrations où elle est à jour.
Il y a aussi la loi sur l’Asile qui a abouti en 2023 après un processus qui a duré plus d’une décennie.
Il existe aussi une Commission Nationale des Réfugiés qui dépend du ministère de l’intérieur qui dispose d’un Conseiller chargé de la Migration.
On note aussi l’existence d’un Comité de Coordination regroupant 13 départements ministériels.
Il y a aussi d’autres référentiels à rappeler avec notamment l’ODD 10 qui encadre la question de la migration avec la libre circulation et les transferts monétaires ; l’Agenda 2063 de l’Union Africaine (points 12 et 24) et il y a la Déclaration de Politique Générale du Gouvernement.
Mais la loi sur l’immigration se fait toujours attendre.
En conclusion il convient de retenir que le cadre juridique de l’immigration en Mauritanie comporte des hérésies pour reprendre la qualification de l’un des éminents juristes présents à cet atelier.
Parmi les recommandations formulées par les participants il y a celle qui préconise de lier la migration au développement.
il faut harmoniser le décret de 1960 et la loi pénale.
Autre recommandation : lier la stratégie du flux et du reflux en tenant compte du fait que les mauritaniens aussi émigrent.
Il faut aussi mettre en œuvre la stratégie nationale sur la migration, une stratégie 2020-2025 qui demeure inerte et dont le plan d’Action n’est pas encore passé devant le Conseil des Ministres.
Bakari Gueye